Dupraz, juste un homme...

Ils sont encore quelques uns dans le milieu aseptisé du foot, tout vérolé par de fades communicants qui tous usent des mêmes codes bien pensants et bien disants, à faire entendre leur verve fleurie : Nicollin, qui dans l'euphorie d'un soir de titre n'hésite pas à parler de branlette espagnole, Antonetti et son parler corse franc et direct... Mais aujourd'hui, au temps du foot conservateur et hypocrite, celui-là même qui dit qu'il faut bien parler aux journalistes, afficher le sourire ultra-brite en toutes circonstances, même les plus sordides, tout en acceptant sciemment les affaires les plus glauques, ces personnages, tout droit venus d'un autre temps, celui de la liberté d'expression, et de la juste démesure des mots, semblent être des extraterrestres.
Bien sûr, sans aller jusqu'à Cantona et son célèbre "sac à merde" adressé à Henri Michel, (lequel Michel, s'exprima en son temps sur le sujet avec une telle désinvolture, qu'elle retira aux mots toute substance de gravité, déshumanisant totalement les liens entre hommes), notons que ces personnages au verbe coloré font le bonheur de leurs auditeurs, et mettent un peu de piment à un monde par trop devenu convenu et artificiel, avec strass et paillettes, mais sans les p'tites bulles qui vont avec.
Pourtant cela n'empêche pas quelques censeurs de faire valoir le droit au "SHOCKING" lorsqu'il est question du zizi à Loulou, ou de la cabale anti-corse exprimée par Antonetti ; les mêmes qui trouveraient à pardonner à Ribéry d'avoir payer une mineure pour quelques gâteries, ou à Aurier d'avoir traité son supérieur de fiotte... Pas si grave disent-ils, ils sont jeunes, argumentent-ils... Mouais, demain matin, allez traiter votre patron de fiotte...

Et dans ce monde édulcoré du foot, il y a un entraîneur qui détonne, qui cristallise autant d'inimitiés que de sympathies, qui, entre autres qualités, ne laisse personne indifférent. Il s'agit de Pascal Dupraz, le savoyard amoureux de ses montagnes, ancien guide de l'ETG, arraché à sa cause au terme de sombres luttes de pouvoir...
Dupraz, c'est ce p'tit gars joufflu qui demandait aux mécréants de fermer leur gueule, et que le petit monde du foot aima à détester dans sa lutte à distance avec le manequino-culturiste Hervé Renard, alors entraîneur du FC Sochaux en bagarre avec l'ETG pour se maintenir en Ligue 1. Trop grande gueule, pas assez classe, physique ingrat, pas assez foot d'aujourd'hui pour nombre de footix de l'époque...

Dupraz, c'est ce mec dont on se moqua à son arrivée à Toulouse quand il ne jurait, à qui voulait l'entendre, que maintien pour une équipe en perdition, sans identité de jeu, et surtout sans âme sur le terrain. Dupraz, c'est ce mec, capable en direct à la télévision de faire taire Pierre Ménès, moqueur à l'égard des victimes d'attaques cardiaques, c'est ce mec au regard pénétrant capable de vous persuader que vous êtes le meilleur dans ce que vous faîtes.
Dupraz, le spécialiste des missions commandos, qui vous rachète d'abord une dignité avant de parler terrain, qui parle d'abord de partage avant d'hésiter entre 4-4-2 ou 4-3-3, qui évoque Floria Gueï et pas Zizou, qui parle d'amour avant d'envisager physique. Dupraz, c'est ce mec qui a arraché des larmes à ses joueurs (mais si, mais si), en leur rappelant qu'ils étaient des hommes, forts et sensibles à la fois.

Dupraz, c'est ce mec, avec sa gouaille et ses excès, que la France du foot détestait il y a encore quelques mois et à qui l'on donnerait aujourd'hui les clefs du pays pour nous guider, qui a réussi à maintenir le Téfécé dans l'élite du foot pro, c'est ce mec qui a fabriqué et donné de l'émotion aux fans de foot, et de sport en général. C'est ce gars qui parvient à vous convaincre que l'impossible c'est pour les autres, et que les tempéraments sont capables de renverser tous les calculs établis, ce coach pour lequel vous avez envie de vous saigner sur un terrain, c'est simplement cet éducateur que tous les gosses aimeraient avoir, celui qui se comporte comme le deuxième papa, qui vous parle autant de foot que de la vie, c'est ce type à la causerie désormais entrée dans la légende ; Dupraz, c'est juste un homme, et peut-être même quelqu'un de bien, même s'il lui arrive d'envoyer chier les autres, parce que c'est juste ça un homme...

Pascal Dupraz a tout dit. #Jplus100https://t.co/1i3QjOlKCQ

— J+1 (@jplusun) 15 mai 2016